Gros plan sur Jean Bugatti, son héritage
Quels que soit les avatars qui ont jalonné la vie de la marque Bugatti, l’ombre de Jean Bugatti n’a jamais cessé de planer. Et de hanter les designers chargés d’entretenir le mythe.
Ettore Bugatti n’était ni un artiste ni un ingénieur, mais une sorte de mécanicien de génie qui inventa un style nourri de technicité. L’intuition suppléait la formation d’ingénieur qu’il n’avait pas reçue. Le « Patron », comme l’appelleront ses employés, réalisa d’innombrables croquis. « Le dessin est le seul grand maître dans la construction automobile », affirmait-il.
À ses côtés, son fils, Jean orienta le style, canalisa la technique et géra l’activité industrielle.
Fusion et confusion de l’art et de la technique n’ont jamais été mieux accomplies que par Ettore Bugatti secondé par Jean. La quête inconsciente d’une beauté induite dans la technicité détermine l’essence même de sa production. C’est toujours vrai en 2019…
Le 14 janvier 1909 naquit Gianoberto Carlo Rembrandt Ettore Bugatti dit Jean. Il vécut à peine plus de quarante ans, mais porta un regard à la fois original et respectueux sur l’œuvre de son père dont il fut le fidèle relais.
L’âge d’or
À partir de 1927, Jean Bugatti prend une part active à la marche de l’usine, date à laquelle il crée l’atelier de carrosserie. Dorénavant, il s’implique directement dans la définition des produits et leur dessin. L’une de ses premières créations est un Type 40 gratifié d’une carrosserie très spéciale. En secret de son père, Jean Bugatti concocte une caisse singulière dans l’atelier où d’habitude sont réalisés les attelages du Patron. La carrosserie reprend trait pour trait les caractéristiques d’un coupé hippomobile…
Jean Bugatti occupe au sein de l’usine de Molsheim un petit atelier qu’il visite chaque jour pour choisir les orientations, donner ses préconisations au dessinateur projeteur et faire des propositions.
Dans la période socialement trouble et troublée du Front Populaire, Ettore Bugatti décide de s’éloigner de Molsheim et de se replier à Paris. Jean se retrouve alors seul aux commandes de l’usine à une période cruciale, celle de l’épanouissement de la gamme 57 dans le domaine sportif comme sur le plan commercial.
L’Aérolithe – prototype préfigurant l’Atlantic – restera son chef-d’œuvre. Son style tranche sur les créations contemporaines par son parti pris de dépouillement. Sur le coupé Bugatti, aucun ornement n’est ajouté, aucun chrome, aucun jeu de couleur. Seules des arêtes rivetées, celles qui cerclent les ailes avant et arrière, et celle qui suit la ligne médiane de la voiture, du radiateur jusqu’à la pointe arrière, sans s’interrompre, partageant le pare-brise et formant une crête sur le dos rond. Aussitôt après le Salon de Paris, la Bugatti Aérolithe sera expédiée à Londres pour figurer sur le stand Bugatti de l’Olympia Hall et elle donnera naissance à quatre exemplaires, pas un de plus, de l’Atlantic à laquelle se réfère aujourd’hui La Voiture Noire.
La destin de Jean Bugatti se fracasse violemment le 11 août 1939 sur une ligne droite… Dans la soirée, il veut tester la 57 qui doit participer au Grand Prix de La Baule prévu le 3 septembre 1939. À la nuit tombée, entre chien et loup, il part faire un essai à haute vitesse sur une portion de route nationale entre Duppigheim et Entzheim, à une encablure de l’usine. Le tank est lancé à près de 200 km/h quand Jean Bugatti aperçoit un vélo au bord de la route. Il donne un coup de volant pour l’éviter et perd le contrôle de sa lourde machine. Le cycliste est sauvé ; pas Jean.
Aujourd’hui, quand les designers imaginent une Bugatti du XXIe siècle, le fantôme de Jean les habite toujours…